Préambule

Pour commencer, il faut commencer comme dirait Jankélévitch, et je suis chargée de commencer. Nicolas Go et les enseignants Freinet du lycée Lumière me l’ont dit : « Tu dois commencer notre livre, notre témoignage, par l’historique du CLEF puisque tu as tenu un journal de cette aventure depuis le commencement ».

Nous sommes en avril 2018, j’ai accepté de commencer, mais voilà que ce commencement m’échappe, car au fur et à mesure que je descends dans le passé pour trouver sa racine et que je la mets au jour, une autre cachée dessous se révèle, et encore une autre, une autre, il n’y a pas de fin au commencement.

Pourtant j’ai fini par trouver ; le commencement, bien sûr, c’est le rayonnement de la pensée de Célestin Freinet.

Ce rayonnement et cette pensée, j’ai eu la chance de les rencontrer en 1972 dans les quartiers Nord de Marseille. Car notre vie se déroule au gré des rencontres que l’on fait. (…)

La section Freinet du Lycée Lumière prend son essor : élagage et aoûtement

Un véritable esprit d’équipe s’est installé, la progression pédagogique est constante. Les quelques postes laissés libres par des départs en retraite ou des déménagements sont généralement pourvus par des enseignants du lycée Lumière au sein duquel la section Freinet a toute sa place.

Les projets et les expériences se multiplient avec le jardin de permaculture, la production d’huile d’olive à partir des arbres du lycée, les travaux en partenariat avec des laboratoires de recherche de l’enseignement supérieur, l’ouverture vers l’international, ou l’édition annuelle du livre Freinésies collectives qui rassemble les productions des lycéens sous forme de textes littéraires, philosophiques, économiques, en français ou en anglais, ainsi que des travaux scientifiques.

Depuis le début du projet, les proviseurs successifs du Lycée Lumière ont soutenu les enseignants de la section Freinet dans leurs démarches, de Mme Ramtani, la première, à Mme Boaventure actuellement, en passant par Mme Fabréga et Mr Le Drézen, qu’ils en soient remerciés.

Pour ces enseignants c’est le moment de la maturité et aussi de la transmission.

Les voici en mesure de se tourner vers leur hiérarchie qui leur a fait confiance, pour leur proposer un modèle d’organisation et de pédagogie en accord avec la réforme et les programmes, adaptable dans d’autres établissements, et qui conduira les jeunes vers la réussite et la réalisation de leur vie personnelle.

Célestin Freinet a écrit 30 Invariants pédagogiques pour aider les enseignants dans leur cheminement. Quand je pense à cette équipe d’enseignants, c’est le numéro 30 qui me vient à l’esprit :

« Il y a un invariant qui justifie tous nos tâtonnements et authentifie notre action : c’est l’optimiste espoir en la vie. Ce sera le fil d’Ariane mystérieux qui nous conduira vers notre but commun : la formation en l’enfant de l’homme de demain ». (Extrait pp.7 et 11-12)

« Processus dans la présentation des textes d’élèves

Au fil des séances les réactions et les questions des élèves vont évoluer et devenir de plus en plus littéraires car elles vont se nourrir de leur propre travail d’écrivain et de lecteur qui s’étoffe ainsi que de leur culture commune qui est croissante. Je répète que le plus difficile est d’arriver à ne pas orienter la discussion car l’artifice enlève l’intérêt de l’exercice. En revanche, j’essaie d’appuyer sur les questions essentielles qui émergent et qui posent problème : Comment as-tu trouvé l’idée ? D’où vient l’inspiration ? L’inspiration existe-t-elle ? A quoi sert la littérature ? Qu’est-ce que la littérature ? Est-ce que ce que tu dis est vrai ? Quels sont les liens entre littérature et réel ? Le mensonge existe-t-il en littérature ? Pourquoi ce texte m’a-t-il autant touché ? Pourquoi est-ce beau ? A travers ces questionnements on approche l’essence de la discipline et ce type de questions permet plusieurs ouvertures intéressantes : découvertes de textes d’auteurs qui évoquent ces problématiques ; confrontation de ces questions à d’autres textes d’élèves, etc. On s’aperçoit très vite qu’en écrivant d’abord sans sujet ou thème imposé on se retrouve en position d’auteur, et donc confronté aux problèmes essentiels des écrivains. D’ailleurs, chaque élève va ainsi s’autoriser de plus en plus à écrire et à progresser en prenant un chemin qui lui sera propre.

Petit à petit, lorsque les élèves réagissent bien aux présentations, j’introduis quelques notions ou figures de style et je les écris au tableau afin de nommer ce qu’ils perçoivent. Je leur indique aussi lorsque leur texte me fait penser à tel ou tel auteur et cela va ensuite permettre d’introduire les études comparées ou les groupements de textes avec les textes d’élèves et d’auteurs du patrimoine rassemblés dont je parlerai plus loin.

L’idée des présentations est de brasser le maximum de textes et de ne pas s’attarder longuement sur l’un sauf si la situation le nécessite. Les élèves prennent l’habitude de découvrir de nombreux genres qu’on nomme, et différents styles, ce qui les familiarise avec la multitude des propositions littéraires. De plus reviennent forcément les grands motifs récurrents et les grandes questions existentielles comme la mort, l’amour, l’amitié, etc. Ils prennent ainsi conscience que l’individuel rencontre le collectif et que chaque texte peut les toucher en tant qu’être humain.

Cette pratique de l’écriture est au centre du travail en français. Chaque élève doit écrire de façon quasi quotidienne et au moins deux fois par semaine afin de mettre en route un réel processus de création littéraire. À partir de cette pratique, la découverte et l’étude des auteurs du patrimoine culturel vont se faire d’une manière très différente car les élèves, à leur niveau, se seront posés les mêmes problèmes, auront été confrontés aux mêmes difficultés : ils partagent la situation d’auteur. Cela provoque chez eux une plus grande compréhension qui permet d’aborder des textes complexes s’ils ont des points communs avec les préoccupations littéraires des élèves. » (Extrait pp.32-33).